Bio/Bibliographie : Grant Allen
Né le 24 février 1848 à Kingston, dans l’Ontario, Charles Grant Blairfindie Allen connaît une enfance idyllique puis une adolescence chahutée : ses parents, assez aisés, vivent successivement dans le Connecticut, en France — où Grant, âgé de quatorze ans, apprend notre langue au Collège impérial de Dieppe — puis à Birmingham. Mais, lorsque la famille regagne ses pénates, le jeune homme reste en Angleterre pour poursuivre des études à Oxford. Il les interrompt en 1869, date de son mariage, pour embrasser le métier de professeur, qui ne lui convient guère. Atteinte comme lui de tuberculose, son épouse décède en 1872. L’année suivante, il reprend ses études mais un second mariage l’oblige de nouveau à quitter Oxford pour gagner sa vie. De 1873 à 1876, il est « professeur de philosophie mentale et morale » au Queen’s College qui vient de s’ouvrir à Spanish Town, sur l’île de la Jamaïque : un fiasco retentissant, qui lui permet néanmoins d’amasser un petit pécule et de se passionner pour les travaux de Darwin.
De retour en Angleterre, il renonce à l’enseignement en faveur du journalisme scientifique, mais ses débuts sont difficiles. Son premier livre, Physiological Aesthetics, un traité publié à compte d’auteur, paraît en 1877 et ne vend que trois cents exemplaires, mais il attire l’attention sur lui. Il tire alors parti de ses connaissances encyclopédiques et de sa puissante capacité de travail pour inonder de sa prose les nombreux périodiques qui fleurissent à l’époque. Peu après, découvrant que ses nouvelles sont tout aussi demandées, voire davantage, que ses articles, il se lance dans le roman à sensation, comptant se ménager du temps afin de composer les œuvres plus sérieuses qui lui tiennent à cœur. Malheureusement, sa santé chancelante l’oblige à ralentir la cadence et à séjourner fréquemment sous les cieux cléments de la Côte d’Azur.
Sa carrière est jalonnée de succès dont les plus marquants sont une biographie de Charles Darwin (1), la toute première à être publiée, qui constitue un bon résumé de son apport à la science, un roman, The Woman Who Did (2), qui déclencha un véritable scandale, et un essai anthropologique, The Evolution of the Idea of God (3), qui connut des ventes considérables quelques années après sa mort, lorsqu’il fut réédité par la Rationalist Press Association ; dans les débats d’idées qui agitaient le monde victorien, Grant Allen se rangeait fermement dans le camp progressiste : tenté par le communisme dans sa jeunesse, il se déclarait athée et fervent partisan de l’émancipation féminine.
Pour ce qui est des domaines qui nous intéressent, il faut noter plusieurs nouvelles, dont « Pallinghurst Barrow (4) », un texte saisissant sur le Petit Peuple qui annonce l’œuvre d’Arthur Machen, une « scientific romance », The British Barbarians (5), à rapprocher de La Machine à explorer le temps de Wells, et, dans le registre de la fiction policière, quelques nouvelles novatrices, dont « Le Grand Vol de Rubis (6) », et, surtout, les trois romans feuilletons publiés dans The Strand Magazine, un véritable feu d’artifice d’humour, de suspense et de satire par lequel il conclut sa trop brève carrière d’écrivain : Les Exploits du Colonel Clay (An African Millionaire), Les Aventures de Miss Cayley (Miss Cayley’s Adventures) et La Vengeance de Hida Wade (Hilda Wade : A Woman of Tenacity of Purpose).
Lorsqu’il s’éteignit le 25 octobre 1899 dans sa demeure de Hindhead, dans le Surrey — une colonie d’artistes où vivait notamment Sir Arthur Conan Doyle, qui l’aida à achever Hilda Wade —, Grant Allen laissait derrière lui une œuvre considérable : plus de soixante-dix livres en vingt-deux ans de carrière, dans des domaines aussi divers que l’épistémologie, le naturalisme, l’histoire des religions, la biographie, le livre pour enfants, le guide touristique, la poésie, le roman à thèse et le roman tout court.
Si la majorité de son œuvre a mal résisté au temps — l’évolution, dont il était un farouche défenseur, touche aussi la science et les idées —, il reste à découvrir dans ses fictions quantité de petits bijoux, et il n’est pas jusqu’à ses guides touristiques qui restent dignes d’intérêt — il faut dire qu’ils s’attachent davantage aux richesses artistiques et architecturales de Florence, de Paris, de Venise et de la Belgique qu’à leurs hôtels et restaurants, ce qui les a rendus intemporels.
On peut d’ailleurs noter qu’il fait l’objet ces dernières années d’une véritable redécouverte, dont le point culminant a sans doute été l’excellente biographie de Peter Morton, “The Busiest Man in England”: Grant Allen and the Writing Trade, 1875-1900 (7), vivement recommandée aux anglophones.
Jean-Daniel Brèque
- Charles Darwin, Longman, Green, 1885. Édition française : Charles Darwin, Librairie de Guillaumin et Cie, 1886, traduction de P. I. Le Monnier.
- John Lane, 1895. Traduit par G. Labouchère, ce roman fut publié en feuilleton dans La Vie moderne sous le titre « Le Roman d’une féministe », mais sa publication, entamée le 21 septembre 1895, fut interrompue le 12 janvier 1896 ; certaines sources font état d’une édition en volume la même année.
- Grant Richards, 1897.
- Illustrated London News, 28 novembre 1892.
- John Lane, 1895.
- « The Great Ruby Robbery », in The Strand Magazine, octobre 1892.
- Palgrave Macmillan, 2005 ; c’est dans cet ouvrage définitif que nous avons puisé la plupart des informations reprises ici.
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